La valise
La valise - elle fait partie intégrante de l'histoire des juifs et de leurs peines. Les survivants de l'holocauste qui revinrent en Allemagne après la guerre gardaient une valise prête au cas où. L'histoire des Juifs est une histoire faite de patrie et d'exil où la valise joue un rôle prépondérant.
Le penchant des juifs pour la mobilité trouve son origine dès les migrations des patriarches. Abraham a quitté Ur, près du Golfe persique, pour s’installer à Canaan en passant par la Mésopotamie et l’Égypte. Ses descendants sont éparpillés dans tout le Proche-Orient. La fuite vers la liberté fut un long voyage vers la Terre promise. Plus tard, ce fut l’Exil à Babylone.
Même après le retour de nombre d’entre eux en terre d’Israël (comme ils l’ont toujours appelée), les voyages ont continué. Les commerçants juifs opéraient de l’Afrique au Yémen et jusqu’en Orient. Avec l’Empire romain, ils sont allés jusqu’en Rhénanie (Cologne notamment), dans le Sud de la France et en Espagne.
Avec la répression de la révolte de Bar Kocheba, la destruction de Jérusalem et l’expulsion de Judée au Ier siècle après Jésus-Christ a commencé ce que les juifs appellent encore aujourd’hui leur exil : la vie dans la diaspora, c’est-à-dire hors d’Israël.
Dotés d’une religion qu’ils pouvaient transporter sous la forme d’écrits, les juifs sont partis en quête de leur bonheur. Dès le XIIe siècle, on trouvait des synagogues en Chine et en Angleterre, en Europe du Nord et au Maroc. Ayant leur patrie spirituelle dans leurs bagages, ils pouvaient réagir promptement aux chances qui s’offraient à eux. Malheureusement, il était rare qu’ils pussent longtemps rester là où ils se trouvaient. On sait ce qu’il en fut de l’Europe des croisades, des exactions antisémites et des expulsions en masse. Les juifs étaient souvent sur la route, leur patrie dans la poche et le cœur ailleurs. Comme l’a exprimé le grand poète juif Judah Halevi : « Mon cœur est en Orient [Jérusalem], mon corps au fin fond de l’Occident [Espagne]. »
À partir du XIXe siècle, alors que le chemin de fer et le bateau à vapeur facilitaient considérablement les déplacements, les juifs sont devenus plus mobiles que jamais. Chaïm Weizmann, qui devait par la suite être le premier président de l’État d’Israël, décrivait les plaines de Biélorussie, où il était né, comme « des îlots perdus dans un océan de mécréants ». Puis les schtetl ont commencé à se défaire. Ceux qui le pouvaient partaient, se séparant de leur monde familier, enfermant dans leurs valises tous leurs biens, leurs chagrins et leurs espoirs. Dans les trente années précédant la première guerre mondiale, 2,4 millions de juifs ont émigré aux États-Unis, dont plus de 2 millions venaient de la sphère d’influence russe. Une fois là-bas, ils ont d’abord vécu de leurs valises avant que leur situation ne leur permette d’accéder à des logements convenables, puis à un toit assez vaste pour abriter la patrie qu’ils avaient apportée avec eux.
En Europe également, les valises ont eu un grand rôle à jouer. Fuyant le régime nazi, les juifs ont vainement cherché protection en Hollande, en France, en Russie. Ceux qui réussissaient à partir pour l’Angleterre, l’Espagne, la Palestine ou ailleurs, laissant leurs biens sur place, prenaient pour tout bagage l’essentiel, le plus précieux : c’était souvent des ouvrages littéraires ou scientifiques, des albums photos, des souvenirs, quelques vêtements. De valise encore il est question au moment de la déportation : la gestapo n’en autorisait qu’une seule.
Puis la vie a de nouveau jailli des valises de ceux qui avaient réussi à fuir ou à se cacher, qui avaient survécu à l’enfer. C’était un nouveau départ avec l’espoir d’un monde meilleur : dans l’égalité aux États-Unis, dans l’indépendance en Palestine et, depuis 1948, en Israël, dans la liberté en Amérique du Sud, en Australie, en Afrique. Livres, écrits religieux, souvenirs ont été ressortis des valises et ont servi de fondations, comme toujours, à une nouvelle vie, à un nouveau chez soi.
Article de Allon Sander
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