Rappel du premier message :
En cherchant je ne sais plus quoi dans les Evangiles, je suis retombé sur un passage de Marc qui ne m'avait pas frappé jusqu'ici.
Je savais déjà que l'épisode du voile du temple qui se déchire (Mc 15.38, Mt 27.51, Lc 23.45) était tiré d'une prophétie d'Amos 9.1 : "Frappe le chapiteau pour que les linteaux s'ébranlent."
Si le texte grec porte "rideau" (katapetasma), c'est à cause d'une faute de copie entre l'hébreu PRKT, "rideau" (séparant le lieu saint du lieu Très Saint dans le temple/tabernacle, Ex 26.31) et l'hébreu KPTR, "linteau". Dans les trois Synoptiques, le texte porte "le rideau du Temple se fendit" (eschisthè), verbe qui correspond au linteau, naturellement, "se déchirer" se disant "regnumai"; mais, avec une curieuse unanimité toutes les traductions donnent "se déchirer"...
Il est écrit dans Marc :
15.37 Mais Jésus, ayant poussé un grand cri, expira.
15.38 Le voile du temple se fendit en deux, depuis le haut jusqu'en bas.
15.39 Le centurion, qui était en face de Jésus, voyant qu'il avait expiré de la sorte, dit: Assurément, cet homme était Fils de Dieu.
Sur quoi ce centurion se base-t-il pour décréter que Jésus était le Fils de Dieu ? Sur le déchirement du voile ? C'est impossible puisque le voile est à l'intérieur du Temple et que les protagonistes sont sur le Golgotha.
Ce bug n'a pas échappé à Matthieu qui ajoute un tas de miracles pour justifier l'attitude du centurion :
27.50 Jésus poussa de nouveau un grand cri, et rendit l'esprit.
27.51 Et voici, le voile du temple se fendit en deux, depuis le haut jusqu'en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent,
27.52 les sépulcres s'ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent.
27.53 Étant sortis des sépulcres, après la résurrection de Jésus (*), ils entrèrent dans la ville sainte, et apparurent à un grand nombre de personnes.
27.54 Le centurion et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus, ayant vu le tremblement de terre et ce qui venait d'arriver, furent saisis d'une grande frayeur, et dirent: Assurément, cet homme était Fils de Dieu.
(*) Bug sans doute ultérieur à Matthieu.
Luc ne dispose sans doute pas du passage actuel de Matthieu et préfère mettre ensemble les ténèbres (qui dans les deux autres évangiles n'ont ému persone...) et le voile du temple, et diminuer l'émotion du centurion :
23.44 Il était déjà environ la sixième heure, et il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu'à la neuvième heure.
23.45 Le soleil s'obscurcit, et le voile du temple se fendit par le milieu.
23.46 Jésus s'écria d'une voix forte: Père, je remets mon esprit entre tes mains. Et, en disant ces paroles, il expira.
23.47 Le centurion, voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu, et dit: Certainement, cet homme était juste.
Mais revenons à Marc : qu'est-ce qui fait que son texte original était logique et qu'il n'avait nul besoin d'un tremblement de terre pour émouvoir le centurion ?
Simplement ceci : "Le linteau du temple se fendit en deux", illustration de la prophétie d'Amos.
Et Amos dit :
9.1 Je vis le Seigneur qui se tenait sur l'autel. Et il dit: Frappe les chapiteaux et que les seuils s'ébranlent, Et brise-les sur leurs têtes à tous! Je ferai périr le reste par l'épée. Aucun d'eux ne pourra se sauver en fuyant, Aucun d'eux n'échappera.
9.2 S'ils pénètrent dans le séjour des morts, Ma main les en arrachera; S'ils montent aux cieux, Je les en ferai descendre.
9.3 S'ils se cachent au sommet du Carmel, Je les y chercherai et je les saisirai; S'ils se dérobent à mes regards dans le fond de la mer, Là j'ordonnerai au serpent de les mordre.
9.4 S'ils vont en captivité devant leurs ennemis, Là j'ordonnerai à l'épée de les faire périr; Je dirigerai contre eux mes regards Pour faire du mal et non du bien.
9.5 Le Seigneur, l'Éternel des armées, touche la terre, et elle tremble, Et tous ses habitants sont dans le deuil; Elle monte tout entière comme le fleuve, Et elle s'affaisse comme le fleuve d'Égypte.
L'évangéliste sous-entend donc que le Temple s'écroule, son auditoire connaissant parfaitement Amos pour ne pas avoir besoin de plus de détails.
Marc ne peut pas écrire que le Temple s'écroula au moment de la mort du Fils de Dieu si son texte est antérieur à la prise de Jérusalem par Titus en 70.
Il ne peut pas non plus sous-entendre que Jésus est mort vers l'an 30 dans ces conditions.
En conséquence, pour le proto-Marc, Jésus est mort en l'an 70. CQFD.